PAR MOODI – CHERCHEUR, IRPAD

« Nous ne sommes pas des Peuls mais des djihadistes »
« Nous sommes des Peuls et pas de djihadistes »

Ces deux phrases veulent dire la même chose seulement qu’elles sont employées par deux acteurs dont tout oppose.

La première phrase provient de Hamadoun Koufa et de Boukary Petal. Dans des enregistrements, l’un daté de 2015 et l’autre de 2016, les deux principaux prêcheurs de la Katibat Ançardine Massina (mouvement djihadiste à dominance peule) disent ceci : « nous ne sommes pas de Peuls mais des djihadistes ». Selon Boukary Petal, les hommes armés qui vivent dans les bosquets à travers le centre du Mali sont des combattants du djihad fi sabililaahi. Nous sommes là pour combattre l’injustice dont sont victimes les populations innocentes d’où qu’elles soient. Ainsi, nos éléments sont ceux qui rétablissent l’autorité de Dieu sur la terre du Massina, qui répriment l’injustice et bannissent la démocratie sous toutes ses formes. D’après le leader local du mouvement, ils auraient trois cibles : tous les porteurs d’uniforme (nationaux, africains et internationaux), tous les auteurs d’atrocités à l’égard de populations innocentes (agents véreux de l’administration, des maires corrompus et de propriétaires coutumiers cupides), et, ceux qu’ils désignent par le mot « diassoussou » (indicateurs ou escrocs) qui œuvreraient contre eux. Ce sont trois catégories de personnes qui sont sur le viseur des partisans du djihad fi sabililaahi que nous sommes disait-il dans un enregistrement daté de juin 2016.

Les djihadistes ne revendiquent pas une appartenance ethnique ou communautaire. Ils sont musulmans et n’ont pas de parents que de musulmans qui partagent leur idéologie. Les prêcheurs principaux du mouvement l’ont dit et redit dans des enregistrements audio que nous avons écoutés. En 2015, Boukary Petal disait dans un enregistrement que nous ne sommes ni Peuls, ni Bozos, ni Bambaras et ne défendons aucune communauté. Si quelqu’un fait du mal à son prochain, une fois interpelés, nous ne tiendrons compte que de ce que dit la charia pour trancher.

Dans deux autres enregistrements dont le premier est daté de décembre 2016 et le second d’avril 2018, Hamadoun Koufa répète la même chose. Nous sommes peuls parce que nous nous exprimons dans cette langue dans nos enregistrements mais nous sommes des partisans du djihad international qui n’a ni ethnie, ni frontière. Dans le dernier enregistrement, il disait que nous avons partout clamé que nous ne sommes pas des Peuls et ne combattons pas pour les Peuls. Ces derniers souffrent depuis des mois à cause de notre appartenance communautaire. Les Peuls du Mali nous blâment dans les réseaux sociaux. Ils nous maudissent et nous injurient à travers les mêmes réseaux.

La deuxième phrase est celle que nous entendons depuis près de deux ans dans les rencontres, dans les réseaux sociaux ou sur des banderoles à l’occasion des conférences ou des attroupements de la communauté peule comme la rencontre du 15 Mars 2018 à la bourse du travail ou les conférences de presse de Tabital Pulaaku, le 18 février 2017 et le 6 mai 2018 ou encore à l’occasion de la conférence de presse de février 2018 de Dental Wuwarbé . Il était écrit presque partout que « « nous sommes des Peuls et pas de djihadistes.» Les Peuls veulent ainsi se démarquer des mouvements dits terroristes qui opèrent dans le centre du pays et ailleurs. Ces Peuls veulent montrer à la face du monde malgré qu’ils soient majoritairement issus de leur communauté, les djihadistes du centre, ont fait et continuent de faire autant de mal sinon plus aux éléments de la communauté peule qu’aux autres.

En guise de rappel, nous dirons que de 2015 à nos jours, les « yimbè laddè » « hommes de brousse » comme ils se sont faits appeler dans la région ont posé et continuent encore de poser des actes à l’encontre de toutes les populations sédentaires des villages voire des communes qui « sont abandonnées dans leurs mains » reconnaissait un retraité peul ameuté par la situation. A mon avis, tout comme les djihadistes arabes qui font plus de victimes dans les rangs de leurs populations, les djihadistes peuls font plus mal aux Peuls qu’à toutes les autres communautés avait-il poursuivi. Cependant, les populations peules qui sont prises entre le marteau des djihadistes et l’enclume de l’Etat ont les mains liées sans que personne ne le sache.

D’un côté, il y a les djihadistes qui règnent en maîtres absolus dans toute la brousse. Les Peuls qui ont tous leurs animaux en brousse craignent ses hommes armés qui arrivent à tenir tête aux soldats des armées nationales. Tous les bergers peuls qui ont eu à les rencontrer ont jusque-là reçu le même message « après t’avoir identifié, ils te disent ceci : si après ton départ, l’armée passe par là, tu diras adieu au monde et à ton troupeau » rapportait A.C , interrogé en août 2016 à Tenenkou.

De l’autre côté, il y a l’armée qui veut recueillir d’informations à partir des récits de ceux qui ont eu à les rencontrer. La peur de coopérer de ceux-ci est considérée comme un refus par les agents de la gendarmerie. Cette dernière traite ces Peuls comme des complices à cause de leur silence sur la ou les positions de ces hommes de brousse qu’ils croisent çà et là. Cependant, les craintes des populations peules sont fondées. Plusieurs exemples peuvent illustrer cela.

1. Un élément peul de Nampala qui collaborait avec les agents des eaux et forêts) avait été assassiné le 18 septembre 2015 à Tougou (commune de Monimpébougou) par les hommes armés partisans du djihad.
2. Un marabout peul qui les avait croisés en forêt (dans la commune de Diaka) en mars 2016 était passé à la gendarmerie pour expliquer ce qu’il a vu. Dans la même semaine, ils sont passés nuitamment dans sa famille pour tenter de l’éliminer. Il avait miraculeusement réussi à s’échapper mais sa fille qui était en état de grossesse avancée avait rendu l’âme suite à une crise cardiaque.
3. Un fonctionnaire peul (agent d’agriculture) qui s’est vu interdire de sortir du chef-lieu de cercle pour ne pas être tué. Il avait également expliqué aux autorités compétentes leur position après les avoir vus en brousse ce matin de juillet 2016.
4. La même année, un conseiller communal (ancien maire) de la commune de Ouro Modi (cercle de Mopti) avait été assassiné pour presque les mêmes raisons.
5. Il en est de même pour un mécanicien de Moura (chef-lieu de la commune de Toguè Mourari dans le cercle de Djenné), tué à son domicile pour avoir parlé mal d’eux pendant qu’il suivait un match de ligue des champions avec l’ensemble des membres de sa famille.
6. Un vieil éleveur peul, originaire de Koro mais établi dans le Delta est mort d’une crise cardiaque en 2016 après avoir assisté impuissamment à l’enlèvement dans son troupeau de plus d’une dizaine de génisses comme zakat par les djihadistes parmi lesquels figuraient ses deux propres petits enfants engagés.
7. Un chef de village peul est mort dans sa cour après avoir été tiré à bout portant par les djihadistes dans la commune de Sofara (cercle de Djenné) en 2017.
8. Un griot peul nommé Oumarou Sackè a été victime des djihadistes dans la commune de Toguéré-Coumbé dans le cercle de Tenenkou en 2017. Des témoins racontent qu’il avait été assassiné par Hamadoun Maïga aujourd’hui repenti et dans les mains de la sécurité d’Etat du Mali. Sa faute est d’avoir demandé et obtenu la main d’une femme pour son ami établi au Gabon. Le problème serait que le divorce de ladite femme avec son premier mari n’a pas été prononcé malgré qu’elle ne vive plus chez lui depuis plus deux ans.
9. Un riche migrant diawando (sous-groupe peul) de Tenenkou établi en Mozambique avait été froidement abattu dans la commune de Toguéré-Coumbé pendant qu’il revenait d’une visite dans le Méma où il s’était rendu pour voir son bétail en Août 2017.
10. Les femmes peules de Mamba en partance pour la foire de Diafarabé, le 14 Août 2017, furent arrêtées, sermonnées et chicotées par les éléments du mouvement de Koufa pour n’avoir pas porté le hidjab. Une d’entre elles qui avait héroïquement résisté fut sévèrement punie en présence de son frère sur lequel ils avaient pointé une arme. La peur de ces jeunes hommes barbus et grossiers avait précipité le travail d’une femme dont la grossesse était presque à terme. Elle succomba le même jour après son accouchement.
11. Un imam peul tué en 2018 à Sédengué (cercle de Mopti) par les combattants du djihad jusque dans sa maison.
12. Deux hommes (un peul et un bozo) égorgés en avril 2018 à Ouro Boubou dans la commune de Diondiori (cercle de Tenenkou)

En outre, nous avons un peu plus d’une centaine d’éléments peuls enlevés et détenus contre leur gré par les hommes de Koufa de part et d’autre du Delta. Pour des raisons de sécurité, nous allons taire leurs noms. Cependant, il y a des marabouts, d’imams, de chefs coutumiers, de notables, de riches propriétaires de bétail, d’enfants de diowros, etc.

Les soupçons fondés ou pas de complicité de la communauté peule vont au-delà des seuls éleveurs. Les élus locaux, les cadres, les agents d’ONG et peut être même les chercheurs issus de la communauté sont tous traités de complices ou de personnes qui tirent les ficelles d’une manière ou d’une autre. Ceci fera l’objet d’une autre communication.